On le surnomme le « dernier homme de Fukushima » celui qui refusa de quitter la ville de Tomokia proche de Fukushima et devenue ville fantôme. Agriculteur âgé de 54 ans, au lendemain de la catastrophe nucléaire du 12 mars 2011, il s’oppose, en avril, à son évacuation pour s’occuper des survivants ; des animaux laissés à l’abandon, enfermés dans leur enclos, expirant lentement, livrés à eux-mêmes.
Des étables transformées en mouroirs, où seuls les rapaces s’agitent pour déchiqueter à même les corps, les chairs, à peine putréfiées.
« Laisser agoniser des centaines d’animaux est un crime ! » s’insurge Naoto Matsumura.
Resté seul dans un rayon de 30 km autour de la centrale de Daii Ichi, son action de résistance s’organise au milieu du chaos, dans un désert humain. Il décide alors de libérer les animaux enchaînés ou enfermés, et de s’occuper de 400 vaches, de cochons, de chats, de chiens et même d’autruches. Profondément shintoïste, Naoto nous rappelle que la nature est sacrée; le rituel shinto consiste à offrir des aliments aux dieux et en nourrissant les bêtes, Naoto nourrit les Dieux, à travers elles. Il lance son association « Ganbaru Fukushima » Ganbaru signifiant en japonais « persévérer, tenir bon ».
« La centrale nucléaire m'a tout pris, ma vie et mes biens. Rester ici, c'est ma façon de combattre pour ne pas oublier, ni ma colère ni mon chagrin. » Et il tiendra bon.
Un irradié dont on craint de serrer la main ? Un rejet, ô combien douloureux et qui nous ramène, à un autre souvenir, encore empreint d’émotion; la stigmatisation de ceux qui ont survécu à la bombe nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki. Des victimes doublement exclues, qui voient après le premier drame, surgir un autre danger aussi grand et insidieux ; l’exclusion, le vide qui se crée autour d’elles, la crainte de contamination les associant à des pestiférés des temps modernes, des parias ostracisés. A croire qu’on n’a rien appris, ni rien retenu des leçons précédentes, une peur qui trouve sa source aux racines de l’ignorance. Après les "hibakusha" de Nagasaki et Hiroshima, voilà les nouveaux "burakumin" de Fukushima, avec pour dénominateur commun : la discrimination !
« Lorsque j'ai vu les visages de ma tante et sa famille, j'y ai lu la peur panique d'être contaminé. Cette épouvante était incontrôlable ; à tel point que leur première réaction a été de nous laisser dehors. Nous y sommes restés un long moment. Une fois entrés, la conversation tournait autour d'un seul sujet : celui de notre départ immédiat vers un centre d'évacuation. » (Naoto Matsumura p.62)*
Témoin de la catastrophe nucléaire, le combat de Naoto, devenu figure emblématique pose la brûlante question de l’existence même des centrales nucléaires. A l’heure, où les conséquences de l’accident de Fukushima sont encore difficilement évaluées avec pourtant des morts par milliers, un impact sur la santé des personnes touchées, des enfants jouant au milieu des déchets radioactifs, une agriculture contaminée, un Pacifique qui chaque jour qui passe est davantage pollué, la question du déni reste entière. Fermer les yeux, faire semblant de rien, jusqu’à quand ? Jusqu’au dernier homme ?
A l'occasion du 3ème anniversaire de la catastrophe nucléaire de Fukushima, Naoto Matsumura est invité en Europe. A Paris, dès le 4 mars, après 10 jours, il continuera son périple jusqu’à la Centrale nucléaire de Fessenheim.
Puis la Suisse :
18 mars : conférence à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne
19 mars : matin, vigie devant l’OMS avec Independant Who à Genève
pour en savoir plus :
http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/
http://www.fukushima-blog.com/
* : citations issues du livre d’Antonio Pagnotta : « le dernier homme de Fukushima » publié aux éditions Don Quichotte en mars 2013
PHOTOS DE ANTONIO PAGNOTTA AUTORISEES PAR L'AGENCE COSMOS